Emmanuelle Hellio, Juana Moreno Nieto
https://doi.org/10.60569/hsoua-a4
Résumé
Depuis 20 ans, des ouvrières agricoles marocaines sont recrutées pour aller travailler dans la récolte des fruits rouges en Espagne. Ce dispositif a été promu par l’Union Européenne pour son utilité économique et pour maîtriser les flux migratoires. Ces contrats concernent entre 10 000 et 15 000 ouvrières agricoles chaque année (avec une baisse importante entre 2010 et 2017). L’article analyse comment ce système a été créé et a évolué, et dans quelle mesure il permet – ou non – à ces femmes de travailler dans des conditions décentes et de les protéger. Cette analyse s’appuie sur des entretiens menés sur une longue période, entre 2007 et 2023. Les femmes sélectionnées au Maroc sont principalement des mères d’enfants en bas âge, dans l’objectif de limiter les « risques » que ces femmes restent en Europe. Le salaire payé en Espagne pour les ouvrières agricoles est, sur une base journalière, bien supérieur à ce que ces femmes pourraient gagner au Maroc. Pourtant, de nombreux témoignages ont souligné les abus concernant le travail et le séjour de ces femmes : non-respect des temps de travail, des logements insalubres, non-paiement d’heures supplémentaires, harcèlement ou abus sexuels, etc. Ceci est dû à la forte asymétrie de pouvoir que le programme de migration temporaire assure entre agriculteur et ouvrières, du fait de la forte dépendance de leur employeur pour rester dans le programme, leur isolement dans les fermes, leur méconnaissance du contexte local et le contrôle exercé sur leur mobilité sur place. Également, il faut souligner la faiblesse des contrôles menées par l’inspection du travail espagnole. Ces problèmes sont récemment apparus dans les médias espagnols, mais cela n’a pas induit de changement structurel dans ce système. Derrière un discours mettant en avant le rapport « gagnant-gagnant » entre agriculteurs et ouvrières, entre le Maroc et l’Espagne, ce système de migration saisonnière aboutit de fait à une construction légale de la vulnérabilité de ces femmes.
Mots clés : contrats d’origine, migration temporaire, ouvrière agricole, vulnérabilité, Espagne
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