La gestion « caporaliste » du travail salarié agricole dans l’agriculture capitaliste au Maroc

Zoubir Chattou

DOI: https://doi.org/10.60569/7-a6

Numéro 7 – décembre 2019

Résumé

Le « caporalisme » en tant que mode de gestion de la main d’œuvre salariée agricole s’est généralisé avec l’introduction du capitalisme dans l’agriculture marocaine à partir du début du XXème siècle. A cette époque, le caporal militaire dirigeait une main d’œuvre corvéable dans les grands chantiers d’aménagement des infrastructures hydro-agricoles et routières. Avec la généralisation du salariat, le caporal est devenu un Marocain et a constitué une institution incontournable dans le développement de l’agriculture intensive et d’exportation au Maroc. Cet article vise à analyser les conditions sociales qui ont enfanté historiquement cette figure du caporal dans le salariat agricole marocain. Il concerne la plaine des Triffa, située au Nord-Est du Maroc dans la Province de Berkane, zone riche en plantations agrumicoles et en cultures maraichères. Nous avons adopté une méthodologie qualitative basée sur des entretiens, des récits de vie et des observations ethnographiques, à travers laquelle nous avons analysé l’institution « caporal », ses fonctions sociales et productives et sa place dans le système d’exploitation du travail. L’étude a conclu que ce système de gestion caporaliste s’appuie sur des références multiples pour impulser et soutenir une cadence élevée de travail. Il s’appuie sur une mise en concurrence entre les groupes d’ouvriers et véhicule des valeurs souvent discriminatoires, entre les ouvriers locaux et les migrants, les hommes et les femmes. Par ailleurs, le statut de caporal n’est pas prisé dans le milieu des ouvriers agricoles car il incarne une image négative et oppressive. Par contre, le caporal lui-même n’est pas épargné dans ce processus de surexploitation mis en place par le patronat agricole, malgré les avantages que lui procure son statut  en termes de pouvoir et de rémunération.

Mots clés : capitalisme, contremaitre, ouvriers agricoles, Triffa

 

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“Caporalist” Management of Salaried Agricultural Labor in Capitalist Agriculture in Morocco

Abstract

“Caporalism” as a mode of managing salaried agricultural labor became widespread with the introduction of capitalism into Moroccan agriculture at the beginning of the 20th century. At that time, the military caporal supervised a labor force subjected to corvée work in large-scale hydro-agricultural and road infrastructure projects. With the generalization of wage labor, the caporal became Moroccan and established himself as a key institution in the development of intensive and export-oriented agriculture in Morocco. This article aims to analyze the social conditions that historically gave rise to this figure of the caporal within Moroccan agricultural wage labor. The study focuses on the Triffa Plain, located in northeastern Morocco in the Province of Berkane, a region rich in citrus plantations and vegetable crops. We adopted a qualitative methodology based on interviews, life histories, and ethnographic observations, through which we analyzed the “caporal” institution, its social and productive functions, and its place within the labor exploitation system. The study concludes that this caporalist management system relies on multiple references to drive and sustain a high work pace. It is based on competition among groups of workers and conveys values that are often discriminatory, particularly between local and migrant workers, and between men and women. Furthermore, the status of caporal is not valued among agricultural workers, as it embodies a negative and oppressive image. However, the caporal himself is not spared from the overexploitation imposed by agricultural employers, despite the advantages his status confers in terms of power and remuneration.

Keywords: capitalism, foreman, agricultural workers, Triffa